Afrique : entre envie de développement et réalité climatique

Alors que l’Afrique n’est responsable que de 4 % des émissions mondiales, elle est pourtant disproportionnellement affectée par le changement climatique, menaçant la vie des populations sur place. Aucune région n’est épargnée par des phénomènes météorologiques de plus en plus imprévisibles.

L’Afrique, en première ligne face au changement climatique

 

L’Afrique australe est gravement affectée par le réchauffement climatique. Inondations soudaines, précipitations irrégulières et sécheresses prolongées sont les facteurs qui ont décimé l’agriculture dans cette région qui se réchauffe deux fois plus vite que le reste du monde. En 2019, les cyclones Idai et Kenneth provoque des inondations catastrophiques au Zimbabwe, au Mozambique et au Malawi, faisant plus d’un millier de morts, plus de 2,6 millions de sinistrés et des dégâts considérables. Selon le Programme Alimentaire Mondial (PAM), environ 45 millions de personnes sont, un nombre record, menacées par la famine en Afrique australe à cause des périodes de sécheresses intenses et à d’importantes inondations conjuguées à l’instabilité économique.

La région du Sahel est particulièrement sensible aux variations de températures. Et pour cause, sa population est fortement dépendante de l’agriculture pluviale et de l’élevage. Mais comme partout ailleurs, le Sahel subit les effets du changement climatique marqués par des sécheresses prolongées, des pluies diluviennes et des inondations inattendues. Des bouleversements climatiques qui menacent les moyens de subsistance des populations agricoles de la région et accentuent les tensions entre communautés. Selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, FAO, 29,2 millions de personnes étaient en situation d’insécurité alimentaire dans le Sahel.

Les pays de l’Afrique de l’Est ne sont pas épargnés. Le phénomène El Nino couplé aux changements climatiques dérègle le climat de la région qui souffre de plus en plus et régulièrement de cyclones tropicaux. Des variations climatiques qui favorisent la prolifération de rongeurs comme les criquets pèlerins. Depuis 2020, la Somalie, le Kenya, l’Éthiopie, Djibouti et le Soudan font face à une invasion de criquets qui menace les cultures. Selon Cyril Ferrand, un expert de la FAO, l’invasion de criquets a affecté l’alimentation de près de 2,5 millions de personnes en 2020 dans la région.

Le changement climatique, une menace pour l’économie

 

Une agriculture mise à mal. L’agriculture, pourtant au cœur de l’économie de la majorité des pays d’Afrique est aussi menacée par le changement climatique. Hausse des températures, sécheresses, inondations, criquets pèlerins, ont des conséquences directes sur les récoltes, menaçant la sécurité alimentaire de millions de personnes.

Dans un continent où 95% de l’agriculture est pluviale, la raréfaction de l’eau entraînera une baisse de 20 % des rendements agricoles d’ici 2050, selon les experts. Le riz et le blé devraient être les cultures les plus touchées avec une perte de rendement d’ici 2050 de 12% et 21%, respectivement. Le défi est d’autant plus grand que l’agriculture fait vivre plus de la moitié des Africains et que la population sur le continent devrait doubler d’ici 2050. Une vulnérabilité au changement climatique qui s’explique par une forte dépendance à l’égard de la pluie, par des techniques agricoles limités et une agriculture encore peu intensive. En effet, la majorité des agriculteurs africains est composée de petites exploitations familiales qui subissent lourdement les aléas climatiques.

La baisse de la production agricole, la pénurie d’eau et les aléas climatiques, soulèvent également la question des réfugiés climatiques. Dans une nouvelle étude publiée en septembre 2021, la Banque mondiale prévoit ainsi que, d’ici 2050, l’Afrique subsaharienne pourrait compter jusqu’à 86 millions de migrants climatiques. Un scénario déjà en cours en Somalie où les inondations ont forcé 270 000 habitants de la ville de Beledweyne à trouver refuge au nord de Mogadiscio en novembre 2019. Le pays compte aujourd’hui près de 2,9 millions de réfugiés climatiques dispersés à l’intérieur du pays. Des déplacements de populations qui coûtent chers aux pays africains, souvent débordés face à cet afflux massif et imprévu de population.

Des dommage matériels. Les secteurs du bâtiment, des infrastructures ainsi que les secteurs du transport subissent de nombreux dommages à cause des impacts du changement climatique. Des dommages majoritairement causés par l’augmentation de la fréquence des évènements climatiques extrêmes, et notamment de celles des tempêtes et inondations qui coûtent chères. En 2019, tout ou presque a été ravagé par le cyclone Idai. Beira, la deuxième ville du Mozambique, a été détruite à plus de 90% d’après l’IFRIC (Fédération internationale des Sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge). La Banque mondiale estimait à plus de 2 milliards de dollars les dommages causés par le passage du cyclone Idai au Mozambique, au Zimbabwe et au Malawi.

Dans la même année, Djibouti, petit pays d’Afrique de l’Est, était frappé par Sagar, un cyclone tropical relativement rare. L’évaluation post-cyclone menée par le gouvernement djiboutien et la Banque Mondiale, estimait à 29 millions USD les dégâts subis dans la capitale Djibouti-ville.

Selon l’indice ND-Gain, sur les 10 pays les plus vulnérables au changement climatique, 5 sont africains. Ces pays sont le Tchad, la République Centrafricaine, l’Erythrée, la Guinée-Bissau et la République démocratique du Congo. L’indice ND-Gain pour Notre Dame Global Adaptation Initiative est proposé par l’Université Notre Dame et évalue la vulnérabilité d’un pays face au changement climatique en fonction de sa capacité d’adaptation. Djibouti est actuellement à la 124ème place, c’est le 58e pays le plus vulnérable et le 52e pays le moins prêt. Une vulnérabilité au changement climatique qui trouve son explication dans une forte exposition aux effets du réchauffement climatique couplée à de faibles capacités d’adaptation.

 

Conjuguer développement et changement climatique

 

Le développement socio-économique des états africains est aujourd’hui compromis par des années de croissance des pays industrialisés. En effet, selon la Banque africaine de développement, l’impact du changement climatique sur le continent pourrait atteindre 50 milliards de dollars par an d’ici à 2040, avec un recul supplémentaire de 30 % du PIB d’ici à 2050. Or les financements climatiques promis par les pays développés tardent à arriver en Afrique. Une situation profondément injuste.

En attendant donc que les pays riches respectent leurs engagements, les africains se doivent réagir eux-mêmes. Le rôle des pays africains est plus que déterminant dans la gestion des crises climatiques sur le continent.

Tirer profit de la technologie

A cause de saisons irrégulières et de modifications des régimes de pluies, les agriculteurs ne peuvent plus se fier à leurs repères naturels. Il existe cependant une variété importante d’outils d’alerte précoce pour aider les agriculteurs qui reçoivent alors les prévisions météorologiques par le biais de SMS, d’applications sur smartphone ou Internet.

Malheureusement, la disponibilité des données climatiques reste un grand défi pour l’Afrique. Aujourd’hui, le continent détient, en moyenne, huit fois moins de stations météorologiques terrestres que le nombre minimal recommandé par l’Organisation météorologique mondiale (OMM). Un véritable manque de données sur des dizaines de pays pourtant très vulnérables face aux catastrophes naturelles et aux extrêmes météorologiques. Des prévisions météorologiques fiables et accessibles aideraient non seulement à sauver des vies, mais également d’aider les villes et les communautés d’Afrique à renforcer leur résilience face au changement climatique. Il faut pour cela investir davantage dans les infrastructures météorologiques automatiques et améliorer les systèmes de télécommunication entre les pays pour les collectes de données.

L’élévation du niveau des mers et l’irrégularité des régimes climatiques, exercent une pression croissante sur les capacités des des populations côtières en Afrique et augmentent leurs vulnérabilités aux changements climatiques. Avec une croissance urbaine qui avoisinera les 80% au cours des 30 prochaines années, les gouvernements africains doivent également se tourner vers les villes durables. Le renforcement de la résilience des villes africaines exige l’investissement dans les infrastructures et transports à l’épreuve du climat.

Encourager les initiatives des jeunes africains

Malgré la forte croissance démographique du continent, l’âge moyen des agriculteurs africains avoisine 60 ans, alors que la population a en moyenne 19 ans en Afrique subsaharienne. Les jeunes boudent ce secteur qu’ils considèrent démodé et sans opportunités. D’après une étude de la Banque mondiale intitulée « Face au changement climatique, agir plus et mieux pour le système alimentaire de l’Afrique » publiée en 2020, seulement 2% des étudiants africains se spécialisent dans les filières agricoles.

Avec 60% des terres arables mondiales, l’Afrique a besoin de former plus de professionnels dans ce domaine. Les gouvernements africains doivent garantir des formations professionnelles de qualité aux jeunes pour donner un nouveau souffle à l’agriculture. Ils doivent, par ailleurs, faciliter l’accès aux financements, qui constitue une condition nécessaire au développement de l’agriculture commerciale.

Les innovations climatiques en Afrique ne manquent pas. Des entrepreneurs africains lancent de petites révolutions partout sur le continent, qui facilitent déjà le quotidien de leurs communautés. Par exemple, Abdou Maman Kané, entrepreneur nigérian a crée en 2013, un système de « Télé-irrigation », permettant à chaque agriculteur de gérer l’arrosage de son exploitation à distance via son téléphone portable. Un système pour limiter le gaspillage d’eau et optimiser le travail des agriculteurs.

Ce qui manque donc aujourd’hui en Afrique, c’est un environnement favorable au développement de projets durables tant au niveau de la recherche scientifique, de l’innovation, que du financement. Des solutions innovantes de la jeunesse africaine qui jouent un rôle essentiel dans l’adaptation de l’Afrique aux effets du changement climatique.

Exiger une meilleure justice climatique

Lors de la COP21, l’UE et 23 pays développés se sont engagés à mobiliser 100 milliards de dollars par an d’ici 2020, afin d’aider les pays les plus démunis à combattre le réchauffement climatique. Où est-on plus de dix après ?

Avec seulement 80 milliards de dollars US alloués, les pays développés n’ont pas entièrement tenu leurs engagements. Par ailleurs, dans le rapport de 2020 intitulé “Les vrais chiffres des financements climat”, l’ONG Oxfam déclarait que 80% des financements climat alloués aux pays les moins avancés et 3 % aux petits États insulaires en développement étaient fournis sous forme de prêts et instruments autres que des subventions en 2017-2018. Le rapport dénonçait ces procédés qui accentuent la charge financière et la vulnérabilité climatique des pays en développement qui croulent déjà sous les dettes.

La COP 26 qui se tiendra le mois prochain à Glasgow sera l’occasion pour les négociateurs africains de réitérer leurs propos et faire entendre leurs voix.

Sommet sur l’adaptation au climat : un appel à l’action

Élévation du niveau de la mer, conditions météorologiques extrêmes ou pénuries alimentaires, comment répondre aux effets du changement climatique sur les populations ? C’était la question posée lors du Sommet sur l’adaptation au climat qui a eu lieu la semaine dernière aux Pays-Bas.

Vers un renforcement de l’adaptation

 

Le premier sommet international sur l’adaptation au climat s’est tenu le 25-26 Janvier 2021, aux Pays-Bas. Organisé virtuellement en raison de la pandémie du Covid 19, ce sommet a réuni plusieurs dirigeants et leaders à travers le monde. Il y avait entre autres le Premier ministre néerlandais, Mark Rutte, le président du Gabon Ali Bongo Ondimba, la chancelière allemande Angela Merkel, le président français Emmanuel Macron ou le secrétaire général des Nations-Unies, António Guterres.

Cette année 2021 aura plusieurs tournants au cours desquels les dirigeants et les peuples du monde montreront vraiment leur solide engagement. “Nous n’avons pas fait grand-chose en matière d’adaptation jusqu’à présent” a déclaré l’ancien secrétaire général des Nations Unies, Ban Ki Moon, la semaine dernière aux journalistes.

Et c’est bien pour renforcer les mesures d’adaptation nécessaires pour rendre la planète plus résiliente aux conséquences du changement climatique que ce sommet a eu lieu.  Contrairement aux mesures d’atténuation des effets du changements climatiques qui visent à réduire les gaz à effet de serre, les programmes d’adaptation veulent limiter les impacts du changement climatique déjà présents. Surtout dans les pays du Sud qui font face à des défis majeurs liés au climat.

 

 

Des impacts déjà visibles

 

A l’occasion de ce Sommet, l’ONG Germanwatch a publié le 25 Janvier 2021 son indice mondial des risques climatiques, comme chaque année. Sans surprise, selon les pays à faible revenu qui paient le plus gros tribu face au changement climatique.  Le rapport a recensé 11000 phénomènes météorologiques qui ont coûté la vie à environ 500 000 personnes entre 2000 et 2019 pour un coût de 2,560 milliards de dollars.

Puerto Rico, le Myanmar, Haïti, le Zimbabwe ou encore les Philippines ont été les pays les plus touchés. Toujours selon ce rapport, les pays pauvres sont les premiers victimes par manque de moyens et d’infrastructures, alors même qu’ils ne sont pas responsables de ce dérèglement climatique.

Raison pour laquelle le chef de l’ONU, António Guterres a lancé un appel pour augmenter les financements pour l’adaptation et la résilience des pays vulnérables. “L’adaptation ne peut être la moitié négligée de l’équation climatique”, a-t-il ajouté.

 

Des appels à l’action en faveur du climat

 

Lors de son discours, António Guterres a demandé que 50% des financements climatiques fournis par les pays donateurs et les banques multilatérales de développement soient dédiés à l’adaptation et à la résilience des pays en développement.

Il a tenu à rappeler aux pays développés leurs engagements dans le cadre de l’Accord de Paris en 2015. Ces derniers avaient promis un investissement de 100 milliards de dollars par an pour aider les pays les plus pauvres mais les objectifs sont encore loin d’être atteints.

M.Guterres a également appelé les pays riches à faciliter l’accès aux financements pour les pays pauvres et à étendre les initiatives pour alléger leurs dettes avec par exemple, des échanges dette contre adaptation. Pour finir, il a demandé à soutenir les initiatives régionales d’adaptation et de résilience.

Par ailleurs, la Banque africaine de développement (BAD) a annoncé lors de ce sommet, le lancement du Programme d’accélération de l’adaptation en Afrique (PAAA). Le président de la Banque africaine de développement, Akinwumi A. Adesina, a déclaré que la BAD s’engageait à verser 25 milliards de dollars pour le financement climatique avec au moins la moitié (soit 12,5 milliards de dollars) dédiée à l’adaptation et la résilience au changement climatique des pays d’Afrique.

Des appels à l’action, beaucoup d’engagements, reste maintenant ce nouvel élan jusqu’à la COP 26, la prochaine conférence des Nations Unies sur le climat prévue en Novembre à Glasgow, au Royaume-Uni.

Solverwp- WordPress Theme and Plugin