S’il y’a une chose qui n’a jamais changé à Djibouti : ce sont ces femmes artisanes installées près de la rue Marchand. Gardiennes de savoir-faire ancestraux, elles tissent le raphia et perpétuent ainsi l’artisanat local. Un secteur qui mériterait d’être encouragé à Djibouti en renforçant notamment l’économie locale et en valorisant une approche éthique et écologique. Toutes les femmes que j’ai rencontrées avaient chacune une histoire mais je vous raconte aujourd’hui celle de Saharla.
Saharla, une vie à servir la vannerie
Saharla Hassan vient de souffler ses 63 bougies. Installée à même le sol, la tête penchée sur son ouvrage, difficile d’apercevoir son visage du premier regard qui est dissimulé sous un grand parasol, la protégeant ainsi du soleil. Sans artifice, vêtue d’un grand châle qui enveloppe tout son buste, elle reflète la simplicité élégante des femmes djiboutiennes.
Cette place, c’est à la fois son atelier et sa boutique, elle y passe des heures à tresser les feuilles du palmier, variété la plus répandue à Djibouti. Elle en fait des trésors uniques exposés devant elle, à la vue des passants. Des paniers, des sacs, des plateaux, des accessoires déco, elle fabrique des produits d’artisanat uniques, utiles, durables et écologiques. Saharla maîtrise ce qu’on appelle l’art de la vannerie. Il y’a quelques jours, elle a accepté de répondre gentiment à mes questions sur son métier de vannière.
En quoi consiste ton métier ?
Je tresse les branches du palmier pour créer des objets que je vends. Les feuilles de palmier branches que j’utilises proviennent de la région d’Obock où cet arbre est cultivé. Les branches sont récupérées, séchées, découpées et enfin vendues 500 francs djiboutien (environ 2,5 euros). Je commence d’abord par tisser le disque qui constitue le fond du sac et généralement je finis un sac moyen en une journée. Pour confectionner ce grand panier par exemple, j’ai utilisé 3 bottes de feuilles.
Je colore également les branches du palmier avec de la teinture pour décorer et embellir les créations. Ces sacs et paniers sont très résistants. Regarde celui-ci, tu pourras l’utiliser pendant des années et il restera intact.
D’où vient ta passion pour la vannerie ?
Aussi loin que je me souvienne les femmes de mon village pratiquaient cette activité. Elles tissaient le raphia pour en faire des objets qu’elles vendaient sur les marchés de Djibouti. Lorsque je me suis mariée, j’ai naturellement emboité leurs pas et décidé de devenir artisan comme ces femmes qui m’ont d’ailleurs tout appris. De plus, grâce à cette activité j’aidais feu mon mari, qui travaillait aussi à l’époque, pour subvenir au besoin de notre famille.
Depuis combien d’années fais-tu ce métier d’artisan ?
Ça doit faire une vingtaine d’années, plus, je m’en rappelle plus exactement. Mais j’ai toujours fait cela. Je me rappelle que j’ai commencé l’artisanat et la vente de ces créations lorsque j’étais enceinte de ma 2ème enfant. J’ai eu 6 autres enfants après cela. Aujourd’hui, mes enfants ont eu des enfants à leur tour et je continue toujours cette activité.
Les produits se vendent bien ? Arrives-tu à vivre de cette seule activité ?
À peine. Ils nous arrivaient de vendre pour 30 000 milles francs à 40 000 milles francs en UNE seule journée, à l’époque. Maintenant, nous gagnons la même chose difficilement en 3 mois. Je suis veuve, j’ai eu 8 enfants dont 6 qui sont toujours vivants. Une de mes filles et 3 de mes petits enfants vivent actuellement avec moi. Il est difficile de vivre avec le peu que je gagne ici surtout avec toutes les charges à payer. Mais je remercie Allah en toute circonstance.
Qui sont tes clients habituels ?
Au début de mon activité, la plupart de nos clients étaient les touristes ou les étrangers de passage à Djibouti qui apprécient les créations artisanales. Aujourd’hui, j’ai plus de clients djiboutiens mais les grosses commandes se font plus rares. Elle nous avouera également la pénibilité du travail de la vannerie. « C’est fatiguant, surtout pour les yeux mais je me sens bien, j’ai encore la santé pour continuer ce métier ».
Aimerais-tu transmettre ton savoir-faire ?
Oui j’aimerais bien mais les jeunes ne veulent plus faire ce métier et trouvent ce qui a attrait l’artisanat comme « démodé ». Mais c’est tellement important car cela fait partie de notre patrimoine culturelle et devrait être préservé. C’est également une alternative à ces sacs plastiques que l’on trouve partout. Il y’en avait pas autant à l’époque.
L’avenir de l’artisanat local et écologique à Djibouti
Aujourd’hui la demande citoyenne en matière d’écologie est de plus en plus présente. On observe une tendance qui prend de l’ampleur petit à petit : celle du retour au naturel. Et elle concerne tous les domaines : agriculture, cosmétique, bien-être, etc. Une partie de la population est à Djibouti est ainsi à la recherche d’une alternative écologique et durable à leur mode de consommation actuelle et l’artisanat local peut être la solution.
Il faut pour cela valoriser le travail des artisans comme Saharla. Il y’a déjà eu la tenue d’exposition-ventes de produits artisanaux organisées par le ministère de la Femme et de la Famille et de l’Union Nationale des Femmes Djiboutiennes en ce sens.
Aujourd’hui le marché des chats en ligne a explosé à Djibouti. Il faudrait donc booster leur visibilité sur Internet et les réseaux sociaux notamment par une bonne communication et un marketing digital. La création d’un annuaire Web dédié aux artisans à Djibouti serait un atout. La mise en place d’ateliers d’immersion animés par les artisans à tous les curieux serait un excellent moyen de partager la richesse de l’artisanat djiboutien. Ces ateliers permettraient aussi aux artisans de transmettre leur savoir-faire et pérenniser leur art. Avec un bon accompagnement, l’artisanat peut devenir une véritable force économique à Djibouti. Ce secteur plein d’avenir devrait être ainsi intégré dans les efforts du pays en matière d’écologie et de développement durable.