Depuis plusieurs mois, l’Afrique de l’Est, et plus précisément certaines parties de la Somalie, de l’Éthiopie et du Kenya, sont exposées à une sécheresse hors-norme. Des températures records et des conditions extrêmes qui n’ont cessé de s’aggraver au cours de ces dernières années. Selon les agences humanitaires de l’ONU, la région fait face à “un événement climatique inédit depuis au moins 40 ans”.
Conflits en Ukraine, criquets, sécheresses
Quatre mauvaises saisons de pluie successives en octobre 2020, mars 2021, octobre 2021 et mars 2022 ont entraîné une sécheresse extrême, étendue et persistante. Les récoltes sont ravagées, le bétail meurt et la faim augmente. L’ONU estime à 3,6 millions le nombre de têtes de bétail mortes au Kenya et en Éthiopie à cause de la sécheresse, dans des zones où l’élevage est la principale source de revenus des populations locales. En Somalie, c’est plus d’un animal sur trois qui a péri depuis la mi-2021.
Par ailleurs, les précipitations insuffisantes ont forcé un grand nombre de personnes à quitter leurs maisons à la recherche de nourriture et d’eau potable. Au premier trimestre de l’année 2022, on comptait plus de 13 millions de personnes déplacées en Éthiopie, au Kenya et en Somalie. Une situation qui accentue les problèmes d’insécurité alimentaire dans la région. Ils sont actuellement plus de 16,7 millions de personnes dans les trois pays à souffrir de faim aiguë et ce nombre devrait atteindre 20 millions d’ici septembre.
Djibouti est frontalière de l’Ethiopie et de la Somalie pour lesquels certaines zones sont confrontées à la sècheresse depuis quelques semaines maintenant. D’après une analyse IPC menée en mai 2022, le nombre de personnes en insécurité alimentaire aiguë élevée à la fin de l’année est estimée à 192 000 personnes, soit 16% de la population totale. Pour ne rien arranger, la guerre en Ukraine a fait grimper le cours de certaines denrées alimentaires. Aujourd’hui, le blé se fait rare et atteint des prix inabordables. La raréfaction et la hausse des prix touchent tout le continent africain. A Djibouti, la crise ukrainienne a impacté les produits alimentaires tels que le blé, l’huile et la farine
Mais pour des pays comme le Kenya, l’Éthiopie, le Soudan et le Soudan du Sud qui importent au moins un tiers de leur blé d’Ukraine ou de Russie, les choses se compliquent. La situation est encore plus critique pour la Somalie, qui importe même 90% de son blé auprès de ces deux pays.
Le 14 juin, Paul Kagame, le président rwandais déclarait qu’“il était inacceptable que l’Ukraine, un pays de 44 millions d’habitants, nourrit l’Afrique, un continent de 1,4 milliards d’habitants“. Il devient donc urgent de créer un système alimentaire basée sur une agriculture familiale et surtout locale pour assurer la sécurité alimentaire de l’Afrique.
Enfin, les invasions de criquets voraces de 2020 et 2021 ont dévoré des milliers d’hectares de cultures, affectant, en 2021, l’alimentation de 3,5 millions de personnes dans la Corne, particulièrement au Kenya, qui a connu la pire invasion de criquets pèlerins depuis plus de quarante ans.
Une réponse tardive malgré les signaux d’alerte
En septembre et novembre 2021, les scientifiques du réseau du système d’alerte précoce contre la famine (Famine Early Warning Systems Network) lançaient déjà un avertissement selon lequel une sécheresse extrême était imminente dans la Corne de l’Afrique si les faibles précipitations saisonnières se poursuivaient en 2022.
Dans un autre rapport publié en novembre 2021, l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) mettait en garde contre une sécheresse imminente et s’inquiétait que «la combinaison de saisons consécutives de précipitations inférieures à la moyenne, des prix élevés des denrées alimentaires et des conflits localisés risque d’aggraver davantage l’insécurité alimentaire aiguë en Somalie ».
Cependant malgré ces signaux avant-coureurs, aucune réponse suffisante n’a été apportée avant que la crise atteigne le seuil critique. Les États et la communauté internationale n’ont pas su anticiper la crise alimentaire en dépit de l’amélioration des systèmes d’alertes précoces et des efforts déployés par les ONG sur le terrain.
Autre chose : malgré l’urgence, les appels pour répondre à la sécheresse restent largement sous-financés. Le Programme Alimentaire Mondial avait réagi en février 2022 en lançant un appel à financements de 426 millions de dollars. Seul 4% de la somme avait été réunie. Pourquoi ? Parce que la levée de fonds importants pour l’action humanitaire dépend à ce jour de l’attention des médias et du public, qui n’est mobilisée qu’une fois que le niveau critique de la crise est atteint. Un mécanisme défaillant car les populations ont, entre-temps, épuisé tous leurs moyens de subsistance.
Dans un rapport publié en mai 2022 par les ONG Oxfam et Save the Children et dans lequel ils dénoncent justement ces inactions, les chiffres avancés sont dramatiques. Selon leurs estimations, une personne meurt de faim toutes les 48 secondes, en Éthiopie, au Kenya et en Somalie, des chiffres qui risquent d’empirer dans les mois à venir.
Les méthodes d’actions en cas de crise doivent donc changer. Il faut agir vite et éviter qu’une catastrophe humanitaire comme celle de 2011 se répète. Cette sécheresse qui avait coûté la vie à 260 000 personnes en Somalie – mortes de faim – dont la moitié étaient des enfants âgés de moins de six ans. Cette crise qui avait pourtant eu des signes avant-coureurs visibles dès août 2010, avait frappé plus de 13 millions de personnes dans la Corne de l’Afrique.
Tous les acteurs (États, donateurs, ONG) doivent modifier leur approche vis-à-vis des situations de sécheresse chronique et ne doivent pas attendre la confirmation de la catastrophe avant d’intervenir. D’autant plus que d’après les experts du climat, ces événements climatiques risquent d’être plus fréquents et plus intenses en raison du changement climatique.